Entretien avec Michel Quesnel, universitaire, autour du livre : "L’Internet des objets, Internet mais en mieux" - de Philippe Gautier & Laurent Gonzales (Afnor éditions 2011)


Entretien avec Michel Quesnel, universitaire, autour du livre : L’Internet des objets, Internet mais en mieux(1) - de Philippe Gautier & Laurent Gonzales (Afnor éditions 2011).


*****M.Q. : Ce qui ressort en premier lieu de la lecture de cet ouvrage est que nous – humains - sommes sur le point de généraliser la création de nombreux objets "intelligents" qui auront potentiellement de l’initiative en dehors de ce que nous leur commanderons. D’où la nécessité, dans nos approches de l'organisation, d’articuler les processus décisionnels qui relèvent de nous et ceux qui relèvent des objets intelligents(1) qui ne maîtrisent pas nécessairement tous les niveaux de décision.

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P.G. : Nous sommes effectivement en train d'accélérer ce processus d'invention/création, sans grande responsabilité ni contrôle car nous le faisons, selon moi, sur la base de schémas de conception inadaptés, prévus pour décrire et traiter de façon déterministe des situations idéalisées. D'où la nécessité de changer d'approche dans un monde où l'incertitude et l'imprévu sont monnaie courante et croissent avec l'ouverture et l'interpénétration des sphères privées, publiques, économiques, politiques, etc. En l'occurrence, il s'agit de remettre systématiquement en perspective ce que nous observons et faisons (quels que soient les moyens que nous employons) et ce qui guide nos décisions (nos objectifs, nos finalités) ; dit autrement, de traiter convenablement la complexité de nos organisations ou écosystèmes(3).
Dans ce contexte, nous allons déléguer de plus en plus aux objets intelligents – ou cyberobjets – une partie de la réalisation de ces objectifs : les objets-acteurs vont devenir des assistants à part entière de nos processus et chaines de valeurs. Il s'agit donc, dès maintenant, d'intégrer autant que faire se peut automates et humains dans une même appréhension des organisations. Cette approche s'inscrit dans le mouvement de pensée cybernétique où certaines écoles parlent plutôt de "système sociotechnique(4)" ; et non plus de "système social" d'un côté et "système technique" de l'autre, les deux vivant alors en parallèle et nécessitant d'être réajustés l'un à l'autre quand ils divergent trop (majorité des approches actuelles).
Cela étant, même les "humains" ne savent pas maîtriser les chaines décisionnelles à une échelle collective ou globale : les problèmes liés au réchauffement climatique, la crise financière, les inégalités Nord-Sud, les disparités sociales… en sont des illustrations quotidiennes. En tant que moyens ou artéfacts, la multiplication des cyberobjets peut donc, soit accélérer notre perte de contrôle, soit – si nous changeons de paradigme – nous aider à avancer dans le bon sens. Il y a donc un double travail à faire : le plus difficile est de développer notre niveau de conscience collective, d'élever nos aspirations communes ; et le plus accessible est d'intégrer nos artéfacts(5) dans une démarche sociotechnique d'ensemble qui permette aux décideurs humains de reprendre la main. Des solutions existent pourtant, mais qui ne sont pas mise en œuvre, sans doute par paresse, instinct grégaire ou habitude(6).

***** M.Q. : Conciliation de l’automate et de l’humain sont donc nécessaires. Mais il revient aux humains de faire cette démarche, parce que les objets programmés ne la feront pas.

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P.G. : En tout cas, pas dans l'immédiat. Au-delà, nous rentrons dans le domaine de la science-fiction et je ne souhaite pas m'aventurer sur ce terrain-là. Cela dit, comme je le mentionne à la fin du livre, les cyberobjets pourraient agir comme des miroirs de nos propres lacunes et nous aider dans ce travail d'autodétermination nécessaire au repositionnement de nos finalités collectives. Nous en reparlerons plus loin….

***** M.Q. : Parmi les questions posées au présent et au futur dans ce livre : "qui gouverne l’Internet des objets ?". Le livre propose une démarche d’approche progressive. Elle est plutôt optimiste, mais des personnes malintentionnées peuvent s’en emparer et prendre sur l’ensemble une autorité dictatoriale à leur propre profit. Nous serions alors entre les mains de décisionnaires inavoués qui nous imposeraient leur loi.

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P.G. : La question est plus que légitime mais je ne crois personnellement pas à la pérennité d'une théorie du "Big Brother qui contrôle tout", en tous cas pas sur un long terme. Les approches systémiques de la complexité nous enseignent que la divergence de buts entre acteurs autonomes(7) génère du chaos, par définition imprévisible et incontrôlable par qui que ce soit. Or, à l'échelle d'Internet, il n'existe pas de convergence de buts, de finalité "chapeau" qui puisse faire l'unanimité dans cet écosystème aussi vaste : tout au plus y vivons-nous des rapports de forces. Ces rapports de forces engendrent des compromis qui sont, au mieux, des facteurs de stabilité provisoire. Mais ces compromis favorisent aussi des évolutions latentes qui traduisent l'adaptation des acteurs autonomes(8) aux équilibres précaires du moment : ces évolutions permettent l'émergence de nouvelles organisations qui viendront par la suite remettre en cause l'ordre établi. Ici, le parallèle avec la théorie de l'évolution de Darwin est manifeste : qui aurait parié sur les mammifères il y a encore 70 millions d'années… ou sur Twitter il y a seulement 6 ans ? Même l'entreprise hégémonique Microsoft s'est développée au sein d'un écosystème initié à l'origine par plus gros qu'elle(9).
L'idée de "Big Brother" est donc relative car elle est liée au temps, celui – relativement court à l'échelle des civilisations - qui mesure la durée des compromis établis sur la base des rapports de force ; en outre, elle ne s'étend que dans des écosystèmes circonscrits et toute ouverture, si minime soit-elle, permet de "faire bouger les lignes".
Pour autant, s'il est illusoire de vouloir contrôler le chaos – qui permet la créativité spontanée - il est possible à des échelles moindres de piloter (ou influencer) les évolutions d'un écosystème complexe en fonction d'objectifs collectifs (ces derniers pouvant évoluer dans le temps). "Gouvernance", tout comme "Cybernétique(10)" viennent - étymologiquement parlant - de l'action de piloter : un navire - "gouvernail"- ou un char, tiré par des chevaux. Le capitaine "pilote" son bateau en fonction d'un cap, sans préjuger des conditions de traversée. En revanche, tout le monde sur le bateau doit s'accorder sur le cap, même si les raisons d'entreprendre le voyage divergent : gouverner, c'est avant tout construire, maintenir ou adapter la convergence de buts(11) dans un contexte donné… qui peut changer. Ce pilotage se fait aussi en référence à des systèmes de valeurs(12) qui influencent ou guident les comportements et savoir-faire dans l'écosystème concerné. Le navigateur pilote aussi son bateau selon les règles du droit maritime, parfois selon certaines superstitions et toujours selon son savoir-faire, fruit de son apprentissage et de son expérience. Les autres membres de l'équipage, à qui sont délégués des tâches et qui ont aussi leurs propres savoir-faire, respectent des consignes, des méthodes, des règles de vie à bord qui sont dictées par des usages, des coutumes, des règles dites de "bon sens", etc.
Ainsi, Finalités, systèmes de valeurs et comportements (savoir-faire inclus) sont liés dans une dynamique d'évolution commune - ils se co-fondent - et doivent être intégrés dans une même approche systémique (donc englobante) et récursive pour appréhender toute idée de gouvernance. En la matière, nous privilégierons donc les démarches transdisciplinaires par rapport aux approches actuelles où plusieurs disciplines évoluent en parallèle, mais restent cloisonnées les unes par rapport aux autres (silos isolés les uns des autres dus aux cloisonnements cognitifs et techniques). C'est la technicisation extrême de nos sociétés qu'il faut revoir afin de renouer avec l'esprit de la Renaissance.
Internet (celui des objets compris) n'est pas une fin en soi ni ne représente un système de valeurs, c'est un moyen : la question de sa gouvernance porte donc sur la surveillance des comportements qui caractérisent son utilisation(13) ainsi que ses conditions de partage et d'accès. Elle s'attachera à les remettre en perspective, selon une vision d'ensemble, avec les finalités collectives ou individuelles poursuivies par ses utilisateurs ainsi qu'avec les systèmes de valeurs communément acceptés. En fonction de l'émergence de tel ou tel phénomène nouveau et afin d'intégrer cette nouveauté, cette gouvernance – dynamique - co-évoluera selon les évolutions anticipées de l'ensemble ; avec, si nécessaire, le repositionnement des finalités, la redéfinition des systèmes de valeurs et des savoir-faire. "Gouverner" est donc un exercice qui se renouvelle sans cesse car il est intimement lié à la dynamique d'évolution de l'écosystème concerné et de ses interactions avec d'autres écosystèmes.
Ce n'est évidemment pas chose facile : dans le débat actuel sur l'ACTA(14), les finalités qui sont mises en avant par les législateurs sont celles relatives à la protection de la propriété privée. Ces buts semblent a priori légitimes dans le contexte des thématiques liées à la propriété intellectuelle mais le contrôle des moyens(15) qui est imposé permet de surveiller et sanctionner arbitrairement (procédures d'exceptions en marge des règles juridiques usuelles et locales) tout utilisateur soupçonné de fraude. Ces dispositions sont donc contradictoires - notamment la surveillance systématisée des internautes par les Fournisseurs d'Accès à Internet - avec une autre finalité, un droit élémentaire de la personne humaine : la liberté de tout individu d'aller et venir(16) sans contraintes (donc sans surveillance).
Toute idée de gouvernance est donc nécessairement subjective et s'appréhende en contexte. L'organe transdisciplinaire responsable de cette démarche, tel qu'il est suggéré dans mon ouvrage - sorte de comité des sages(17) élus démocratiquement(18) pour une durée limitée -, aurait l'énorme responsabilité de s'accorder sur les finalités collectives du moment, de les hiérarchiser selon les contextes, d'en redéfinir de nouvelles (repositionnement des ambitions communes) et de piloter les évolutions de l'ensemble de l'écosystème Internet (objets compris) en conformité avec les systèmes de valeurs en vigueur, notamment en observant le plus tôt possible toute auto-organisation émergeante. Il n'est pas question ici d'éradiquer dans l'œuf ces nouvelles organisations en devenir, mais d'accompagner intelligemment leur intégration dans l'organisation existante afin de s'approcher tant que faire se peut d'un principe d'homéostasie. L'écosystème nouvellement créé à partir de la fusion de l'existant et de toute nouvelle organisation émergente formera ainsi une nouvelle organisation, qu'il est naturellement impossible de déduire des seules observations indépendantes effectuées sur les organisations parentes : en matière systémique, 1+1 >2. Les craintes exprimées dans la question porteraient donc plus sur un risque hégémonique lié à ce "comité des sages". Elles sont fondées, même si ce problème de gouvernance est plus général : une telle approche n'est pas nouvelle ni propre à la problématique de l'Internet des Objets.
Mais la multiplication – aujourd'hui anarchique - des machines(19) que nous programmons, ce à une échelle planétaire, agit désormais comme une réelle menace. Les vecteurs d'évolution de nos organisations sont aujourd'hui les seuls "moyens", et leur intégration se fait au détriment des "objectifs" et des "systèmes de valeurs" qui sont désormais absents de nos modèles d'organisation. Par exemple, l'argent, qui est une simple valeur d'échange - donc un moyen - est devenu dans bien des cas une fin en soi. En oubliant de repositionner le "comment" dans le contexte du "pourquoi", nous perdons donc toujours plus le contrôle et nos organisations tendent concomitamment vers le chaos. En effet, toute externalité(20) employée sans vision d'ensemble(21) a potentiellement des effets induits dévastateurs qui sont directement proportionnels à son effet de levier. Elle sera bénéfique dans un sous-écosystème, catastrophique dans un autre. L'invention de l'agriculture a permis le développement de la culture (villes, écriture, religions, etc.) mais elle a aussi accentué les conflits (appropriation des biens d'autrui, des productions, etc.). La nouveauté ici, c'est l'ampleur du phénomène et son potentiel, liés à la puissance de l'informatique. Avec l'Internet des Objets, nous avons donc une occasion historique de nous attaquer sérieusement au problème ! En intégrant intelligemment les cyberobjets dans nos organisations sociotechniques, ils deviendront pour nous ces miroirs qui nous renverront nos propres défauts ou lacunes. En créant de nouveaux auxiliaires dans nos organisations, nous créons aussi l'opportunité de réfléchir sur nous-mêmes et de repenser nos modes de gouvernance. Les cyberobjets devront donc, dès leur conception, intégrer ces notions d'éthique.
L'enjeu de l'Internet des Objets pourrait ainsi être reformulé de la façon suivante… L'Homme a démontré jusqu'ici sa relative incapacité à générer autre chose que du chaos à l'échelle collective. Nous sommes, individuellement et d'une certaine façon, presque "trop autonomes" pour satisfaire à des règles élémentaires d'organisation et de survie collectives, comme l'illustrent pourtant des espèces bien plus anciennes que la nôtre : fourmis ou termites. Pour autant, sommes-nous capables de développer une nouvelle forme de conscience collective qui nous permettrait de dépasser cet "état intermédiaire d'intelligence et d'évolution" et de créer un nouveau modèle d'organisation ? L'histoire nous enseigne que les contraintes issues des catastrophes permettent, artificiellement, de construire des comportements collectifs cohérents le temps d'un éphémère élan solidaire (repositionnement des finalités, exemple : "survie du plus grand nombre"…). Avec les cyberobjets, l'Internet des Objets n'est donc pas tant l'occasion de changer le "comment" mais surtout de repositionner le "pourquoi" dans nos organisations. En ce sens, il pourrait nous aider à "changer le monde(22)".

***** M.Q. : En marge de ces considérations qui dépassent les simples aspects techniques, le concept d’Internet des objets reste encore cependant pour moi assez flou ; le livre le présente comme un élément culturel disponible au lecteur et ne le définit pas vraiment. Cela se réfère-t-il à l’intelligence des objets programmés qui communiquent par Internet ? Ou à un "système plus global" dont les objets intelligents ne seraient que des éléments parmi d’autres ?

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P.G. : Comme nous venons de l'illustrer en positionnant le débat dans un contexte pluridisciplinaire et presque philosophique, il est normal que ce concept reste flou car il n'est qu'une étiquette parmi d'autres : "Web 3.0", "Web 4.0", "Web sémantique", "Web symbiotique", "Cybionte(23)", … Cette appellation ne sert qu'à illustrer une rupture. En l'espèce, nous vivons actuellement une accélération de notre histoire qui a toujours été très liée à l'évolution des concepts et des artéfacts que nous créons et manipulons. Le fait d'identifier de façon individuelle les objets physiques (numéros sériels uniques), de les rendre sensibles (technologies sensorielles, capteurs : RFID, NFC, GPS, etc.) et intelligents (avatars logiciels associés), c'est-à-dire d'en faire des cyberobjets, est en effet la plus récente étape d'une transformation qui n'est pas nouvelle. Elle a commencé il y a des milliers d'années avec l'apparition des premiers artéfacts humains(24) qui ont progressivement contribué à complexifier les structures organisationnelles… jusqu'à l'apparition récente de l'informatique qui a tout accéléré. Mais en accordant une certaine intelligence à nos artéfacts, nous faisons aussi un grand saut dans l'inconnu : encore très récemment, l'essence des artéfacts précédait leur existence. C'est l'exemple du "coupe-papier de Sartre" : l'artisan s'inspire du concept du coupe-papier pour le fabriquer ; le concept précède ainsi l'existence réelle de l'outil. Nous nous apprêtons désormais à multiplier les artéfacts, sans nécessairement penser préalablement toutes leurs utilités potentielles dans nos organisations, utilités qui pourront se révéler au cours du cycle de vie de ces mêmes artéfacts… et révélations initiées par les artéfacts eux-mêmes ! Les cyberobjets vont donc progressivement se définir eux-mêmes, rôle que l'existentialisme sartrien réservait jusqu'ici à l'Homme…
Il sera conséquemment difficile d'anticiper l'intégration de leurs utilisations possibles dans le cadre référentiel de nos finalités et de nos systèmes de valeurs. L'Internet des Objets marque donc une transition particulière, car les cyberobjets qui le caractérisent introduisent une accélération dans la transformation perpétuelle de nos organisations sociotechniques. C'est donc, avec les phénomènes écologiques, économiques ou sociaux récents un élément de la réflexion systémique qui s'impose désormais au niveau collectif en matière de gouvernance.

***** M.Q. : La question de la gouvernance reste en effet majeure et déterminante. J’insisterais volontiers sur le parallèle avec la crise économique actuelle. Des traders font joujou avec les valeurs boursières, personne d’autre qu’eux-mêmes ne les maîtrisent, et ils sont capables de tout faire capoter au seul profit de leurs intérêts financiers ou de leur satisfaction de manipulateurs.

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P.G. : Le pire dans cette histoire est que personne ne maîtrise les "marchés". Voici un bel exemple d'artéfacts macro-économiques puissants - les plus récents outils sont basés sur des principes mathématiques de démultiplication ou effet de levier -, utilisés dans un environnement non finalisé, donc chaotique(25). Le marché est conçu sur le principe néolibéral du "laisser-faire" et ne s'appuie sur aucun système de valeurs faisant référence collective. Aujourd'hui, ses évolutions incontrôlables(26) génèrent les profits les plus absurdes comme les crises les plus destructrices. Les soi-disant "manipulateurs" boursiers ne font que des "coups" mais peuvent aussi être victimes du jeu : les armes qu'ils manipulent ont une puissance inversement proportionnelle à leur niveau de conscience collective. Cet exemple financier est une belle illustration de la citation célèbre de Rabelais : "science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Il illustre aussi la nécessité des approches transdisciplinaires : point n'est besoin d'être spécialiste ou expert en économie ou en finance pour réaliser ce constat. Au contraire, mieux vaut ne pas être du "sérail" pour disposer d'une vue plus large et donc plus objective. Les politiques, qui devraient tenir ce rôle, ont une responsabilité majeure dans la crise actuelle.

***** M.Q. : Même si Big Brother n'est pas viable sur le long terme à l'échelle de l'humanité, qui peut nous protéger d’une dictature perverse de la part des principaux pilotes de l’Internet des objets dans l'immédiat ?

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P.G. : "Qui peut nous protéger de nos propres inconsistances, si ce n'est nous-mêmes ?"… mais ayant préalablement accepté et intégré des finalités communes à l'échelle collective et aidés en cela par des artéfacts intelligemment conçus et correctement intégrés à nos organisations sociotechniques.
En matière systémique, comme dans les théories physiques modernes, "L'observateur (acteur) modifie le réel qui modifie l'observateur en retour". Dans l'histoire récente des techniques(27) nous avons focalisé sur les moyens de "modification du réel" mais n'avons pas eu conscience de la rétroaction grandissante du réel sur nous-même. Notre façon de penser l'organisation n'ayant pas suivi, nous observons aujourd'hui un écart grandissant entre le réel que nos artéfacts contribuent à produire(28) et le sens que nous sommes capables de lui donner(29). Incompréhension et incertitude deviennent donc des sentiments largement répandus, car nos schémas mentaux n'ont pas évolué pour nous permettre de maintenir la compréhension nécessaire à un relatif pilotage de ce réel. À titre de conséquences, les maladies chroniques liées au stress sont en pleine explosion et nos alternances démocratiques se font sur la base d'une abstention toujours plus importante, tant les politiques se trouvent – eux-aussi – désarmés et inaptes à apporter des solutions.
Dans les processus des entreprises, dans notre vie quotidienne, dans la Cité, les cyberobjets vont introduire une accélération de ce phénomène et un changement d'échelle. Il convient donc dorénavant d'intégrer les systèmes d'information (cyberobjets compris) dans une même approche sociale et technique de nos organisations. Il s'agit, culturellement parlant, d'un changement de paradigme : dans l'organisation, l'approche sociotechnique place à un même niveau de réflexion l'homme et l'automate, même si il convient de les distinguer hiérarchiquement d'un point de vue décisionnel ou de les appréhender distinctement au niveau philosophique. Nous sommes moins que jamais dans un schéma où l'homme – tout puissant – impose sa volonté au reste de la création mais plutôt dans celui où il pilote l'évolution du réel mais se trouve modifié lui-même en retour… et l'accepte et l'intègre en toute humilité ! Cette interdépendance et cette co-définition entre l'homme et son milieu ("vivant réel" ou "vivant artificiel", en cybernétique les frontières sont floues) sont les clés de toute évolution durable de notre espèce. Dans ce sens, la pensée orientale est peut-être mieux adaptée que notre pensée occidentale, qui place souvent "l'homme individu" au centre de toute analyse. Lorsque nous prendrons – collectivement - pleinement conscience que l'évolution de notre écosystème conditionne notre propre évolution, peut-être aurons-nous fait un pas important dans la définition de finalités collectives ? .... Ce débat est "une autre histoire" même si l'enjeu, pour nous humains, est l'élévation de notre conscience collective et la survie de notre espèce à moyen terme.

Michel Quesnel & Philippe Gautier (Octobre 2011 – janvier 2012).
·        Michel Quesnel est universitaire et a occupé d'importantes fonctions dans le milieu enseignant.
·        Philippe Gautier, ancien Directeur des Systèmes d'Information, est entrepreneur et auteur d'un livre sur l'Internet des Objets.
(Copyright Michel Quesnel & Philippe Gautier, 2012).

2.    - Intelligence créée sur la base de services web associés en temps réel aux objets physiques et qui s'alimentent des données évènementielles observées sur ceux-ci (NDLR).
3.    - Un "système complexe" est ici compris comme un système dans lequel des acteurs indépendants et autonomes sont susceptibles de concourir à la satisfaction d'une finalité commune (source : http://www.b-adsc.com/#/b-adsc-et/3274743). Un système est toujours finalisé (http://fr.wikipedia.org/wiki/Approche_syst%C3%A9mique#La_finalit.C3.A9).
5.    - Systèmes d'Information, objets intelligents, entre autres.
6.    - "Le demi-savoir triomphe plus facilement que le savoir complet: il conçoit les choses plus simples qu’elles ne sont, et en forme par suite une idée plus saisissable et plus convaincante" ?.... Humain, trop humain (1878-1879) - Friedrich Wilhelm Nietzsche
7.    - Disposant chacun de leurs propres finalités.
8.    - Généralement ceux qui subissent l'autorité ou l'influence des autres et ont intérêt à ce que les choses changent.
9.    - IBM.
10.  - Terme inventé en premier lieu en politique en 1834, par Ampère (source Wikipédia).
12.  - L'éthique en faisant partie.
13.  - L'utilisation des cyberobjets, en tant qu'assistants, en faisant partie.
15.  - Internet.
16.  - "La liberté d’aller et venir à une valeur constitutionnelle, cela signifie que ce principe fait partie intégrante des droits fondamentaux protégés par le bloc de constitutionnalité. Cette liberté se rattache à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui consacre le principe de liberté. La liberté d’aller et venir est garantie par l’article 66 de la constitution du 4 octobre 1958 qui reconnaît la compétence exclusive de l’autorité judiciaire." (Source : http://www.cabinetaci.com/la-liberte-d-aller-et-venir.html).
17.  - Idéalement constitué de sociologues, de philosophes, d'ingénieurs en organisation ou ergonomie, d'informaticiens, de personnes politiques, d'économistes, de citoyens, etc.
18.  - Suffrage direct, communauté des internautes.
19.  - En tant qu'artéfacts ou moyens.
21.  - Incluant finalités et systèmes de valeurs.
22.  - Pour penser une finalité ultime, qui ferait l'unanimité dans nos organisations humaines, les esprits "positivistes" (http://fr.wikipedia.org/wiki/Positivisme) préciseraient que nous aurions besoin de tout comprendre, ou tout connaitre. Nous nous heurterions alors au plus grand mystère qui soit : celui de nos existences. Ce serait nous placer à un niveau d'abstraction que seule notre capacité à croire (ou pas) nous permet d'atteindre : celui de la religion. D'autres, tel le mathématicien Gödel qui a démontré au XXème siècle l'indécidabilité de tout principe dès lors que l'analyste était immergé dans le système étudié ou appréhendé (en simplifiant), ou l'épistémologiste Karl Popper qui a posé le principe de réfutabilité comme base de toute démarche scientifique nous enseigneront que cette démarche est vaine et même dénuée de sens (donc de finalité !)… La responsabilité du comité des sages que nous évoquions plus haut, qui consiste à s'accorder sur des finalités communes, s'apparenterait donc plus à piloter de façon récursive l'élévation permanente et infinie de nos aspirations communes et de notre niveau de conscience collective. Beau projet en perspective !...
23.  - Ces derniers termes sont empruntés à Joël de Rosnay.
24.  - Outils et moyens agricoles, armes, habitat, art, etc.
25.  - Comme il n'y a aucune finalité dans l'environnement chaotique que constitue la finance mondiale, nous ne pouvons ici parler de système - par définition toujours finalisé.
26.  - N'en déplaise à Adam Smith, Alain Minc et consorts ; qui ont suggéré une "autorégulation naturelle"….
27.  - Et dans les enseignements idoines.
28.  - Le "comment".
29.  - Le "pourquoi".

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