Internet des objets et perspectives économiques
Abstract : D’un
point de vue strictement économique, l’Internet des objets (1) va
vraisemblablement nous faire passer d'une économie de la consommation, basée
sur la possession des objets, à une économie des usages…. puis ultérieurement
des savoirs.
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NB : Ce texte
est issu d'une série de questions et réponses qui sera publiée dans l'ouvrage
"Développer sa présence sur Internet - Concevoir et déployer
une stratégie sur les médias sociaux" de David Fayon.
La valeur
économique de tout objet est définie selon 2 critères : "rareté"
et "utilité" (2). Aujourd’hui, afin de traiter le problème posé par
la "rareté" d'un objet qui nous est "utile" (3), nous
l'achetons (en prenons possession) pour l’avoir en permanence à
notre disposition et disposer de la garantie de pouvoir l’utiliser à n'importe
quel moment, ce même si l’usage en est occasionnel. Nous payons ainsi un prix
pour avoir les objets "sous la main" car il nous est difficile d'en
prévoir à l'avance l'usage : nos besoins n'étant pas toujours anticipés et
les conditions de partage des objets qui y répondent étant compliquées à mettre
en œuvre (problème d'organisation), nous nous garantissons individuellement –
avec la propriété - un accès permanent aux ressources qui nous sont
utiles.
Or, dans les
approches les plus crédibles de l’Internet des objets, il est proposé
d'attribuer de l’intelligence logicielle associée aux objets. Cette
approche permet potentiellement de déléguer à l'objet physique
(4), dans une organisation ou communauté humaine donnée, le pilotage des
conditions de son accès et de son partage. L'objet "utile" devenant
ainsi acteur des organisations - ou
"gestionnaire" de ses conditions d'accès et de partage - il
automatise et facilite les conditions de sa mutualisation au
sein des communautés d'utilisateurs. L'objet-acteur répondrait ainsi en grande
partie au problème posé par la "rareté" des ressources économiques.
Cette faculté
nouvelle, offerte aux objets physiques devenus automates, de "marchander"
avec les humains leur propre mise à disposition va ainsi permettre de faciliter
le traitement, aujourd'hui dissuasif, des questions d'accès et de partage,
celui-là même qui nous incite à payer pour la possession des objets plutôt qu'à
en payer les seuls usages. De nouvelles perspectives économiques, basées sur
des principes de "pay-per-use" (paiement à l'usage) vont ainsi se
développer massivement : les exemples précurseurs sont ceux du co-voiturage
ou des vélos urbains partagés (Vélib', etc.) mais ils ne sont que l'annonce
d'un phénomène de plus grande ampleur.
Mais cette
"économie des usages" peut vraisemblablement rapidement basculer par
la suite vers une économie des savoirs, ou un mix des deux.
En effet, les
conditions d’accès et de partage de toute ressource (ou valeur économique) se
font en référence à des systèmes de valeurs (règles éthiques,
usages, coutumes, etc.) qui sont intimement liés aux organisations ou
communautés humaines concernées. Les objets intelligents vont s'insérer dans
ces organisations, à la fois en tant que ressources et en tant qu'acteurs
autonomes, sachant s'auto-partager. En outre, les systèmes de valeurs évoluent
dynamiquement : pour maintenir leurs rôles, les objets
"ressources-acteurs" devront donc s'adapter concomitamment.
Par exemple, une
tondeuse à gazon œuvrant dans la banlieue parisienne ne
"s'auto-partagera" (comportera) pas exactement de la même façon qu'à
Qiaozi (banlieue de Pékin) ou à Hoboken (New-Jersey, banlieue de New-York). Les
intelligences logicielles pilotant ces différentes "versions" de
tondeuses seront des adaptations spécifiques et divergeront d'autant plus au
cours du temps que chacune des tondeuses intègrera de nouveaux savoir-faire
issus de son propre retour d'expérience.
Plusieurs
conséquences sont envisageables. La première d'entre elles est que ces "cyberobjets (5)",
disposant d'une double nature… • physique (caractéristiques
fonctionnelles propres de l'objet + électronique embarquée le cas échéant (6)),
• et virtuelle (l'intelligence logicielle associée,
évolutive), …S'enrichiront en permanence, via cette dernière, de nouveaux
savoir-faire acquis ou inculqués. Tout cyberobjet - devenant donc un
véritable agent économique (7), capable de s'adapter
dynamiquement aux systèmes de valeurs des organisations dans lesquelles il sera
engagé – sera ainsi susceptible d'échanger ou de monnayer son
savoir-faire acquis, au même titre que les acteurs humains monnayent les leurs.
Par exemple, une
cyber-valise de globe-trotter ayant parcouru la Terre entière et disposant
d'une connaissance exhaustive des aéroports (contraintes, risques, usages,
processus, etc.) pourra publier, dans une bourse en ligne d'échange de savoirs,
son savoir-faire acquis de son expérience. Cette connaissance, utilisée par une
autre cyber-valise nouvellement fabriquée, permettra à cette dernière de se
préparer pour tel ou tel voyage : attention accrue lors du séjour dans les
aéroports à risque (exemple : captation plus régulière des informations
évènementielles issues des capteurs, traitements contextuels de l'information adaptés…),
information du voyageur sur telle ou telle anecdote, telle information utile,
etc.
Les cyberobjets, à
l'image des compagnons (8) apparus au moyen-âge, vont ainsi favoriser et
généraliser une "économie des savoirs", basée sur l'échange et
le partage de savoir-faire sans cesse enrichis du retour d'expérience. Le
"savoir", renforçant ainsi sa dimension économique (rareté / utilité)
grâce aux objets, pourrait devenir une dimension majeure de l'économie du
futur.
Cette économie
de l'usage et des savoirs, établie sur la nécessité de prendre en compte de
façon dynamique, spécifique ou contextuelle les systèmes de valeurs des
organisations, va aussi favoriser les entreprises sachant proposer des objets
dont l'intelligence logicielle associée sera "compatible" avec
l'écosystème ciblé et saura évoluer de concert : nouvelles versions,
éventuel auto-apprentissage, intégration du retour d'expérience (par nature
spécifique et local). Nous allons donc potentiellement assister à une relocalisation de
certaines productions, spécifiquement adaptées aux écosystèmes locaux (besoins,
usages, systèmes de valeurs). Il est en effet possible d'expliquer les raisons
qui favorisent actuellement la production de biens de consommation dans les pays
à bas coûts (prix de revient compétitifs d'objets inertes et dépourvus
d'intelligence) ; mais si l'on considère que ces biens de consommation
vont devenir des acteurs autonomes (via leur intelligence
associée), il faudra vraisemblablement les produire localement, ne serait-ce
que pour assister leur évolution (l'enseignement à distance ne fonctionne
jamais bien, même pour les humains).
La conception et la
mise en œuvre des cyberobjets, pour être efficace, ne peut être que locale car
sujette à une parfaite connaissance des systèmes de valeurs en place, de leurs
changements et évolutions dans le temps (9). Les entreprises manufacturières
vont ainsi probablement muter et se rapprocher des lieux d'utilisation des
objets, afin de pouvoir maintenir leurs produits en "symbiose
culturelle" avec les communautés d'usagers cibles et leurs systèmes de
valeurs associés. À titre d'illustration, les "FabLabs (10)" sont une
tendance intéressante en la matière et, à tout le moins, une expérience à
suivre de près puisqu'elle va dans ce sens.
Adaptée au contexte
des PME, cette réflexion pose à court-terme la question de savoir s’il est
rentable d’investir (11) dans des bureaux, d’avoir des infrastructures
téléphoniques dédiées, des flottes de véhicules propres, etc… autant d'équipements
qui sont généralement sous-utilisés et qui pourraient être mutualisés si les
conditions d'accès et de partage étaient facilitées. Ce qui n'est pas le cas
aujourd'hui car – rappelons-le - les méthodes de conception
logicielle utilisées la plupart du temps ne permettent pas d'automatiser avec
succès de telles fonctionnalités à des niveaux les plus subsidiaires
qui soient : les objets eux-mêmes. Ce sont donc des solutions
propriétaires coûteuses, centralisées et peu évolutives qui priment, limitant
ainsi le développement de l'économie des usages à des écosystèmes confinés
(développements en "silos" (12)).
À la condition que
l'on adopte des méthodes de conception logicielle différentes –
systémiques et sachant traiter la complexité (13) - l'Internet des
Objets pourrait donc permettre d'accroitre la flexibilité opérationnelle des
entreprises et nous faire entrer de plain-pied dans cette économie des usages
qui nous est promise par certains. Ainsi, les entreprises – même les plus
petites - pourraient plus facilement mettre en œuvre des principes
d’« asset sharing (14)», ce, sans nécessairement avoir recours aux
services de grosses sociétés spécialisées dans la gestion de flottes ou
d'immobilisations telles GE Capital, ARVAL (15), etc. D'ici à quelques années,
ce sont ainsi des entreprises sans immobilisations qui
pourraient progressivement voir le jour.
Philippe Gautier,
Novembre 2011.
Co-auteur de : "L'Internet des objets : Internet, mais en mieux", AFNOR (ISBN-10 : 2124653164 - ISBN-13 : 978-2124653164);
Fondateur de Business2Any (www.business2any.com)
Novembre 2011.
Co-auteur de : "L'Internet des objets : Internet, mais en mieux", AFNOR (ISBN-10 : 2124653164 - ISBN-13 : 978-2124653164);
Fondateur de Business2Any (www.business2any.com)
Notes :
(1) Il faut
préciser que lorsque je parle d’Internet des objets, il faut comprendre ici
"Internet du futur", sans distinction de terminologie. L’utilisation
de la réalité augmentée, l'informatique ubiquitaire ou pervasive, le Web 3.0,
4.0, sémantique ou symbiotique correspondent à plusieurs facettes d'une même
évolution dont les technologies sensorielles ou éléments de réseau sont
aujourd'hui la partie matérielle émergée de l'iceberg. La partie immergée, les
intelligences associées aux objets, imposeront ces derniers en tant
qu’acteurs ; au même titre que les humains sont devenus
"acteurs" du WEB 2.0, il n'y a pas si longtemps de cela.
(3) Un objet peut
aussi être utile car il flatte notre ego et favorise la reconnaissance sociale
(image de soi, autosatisfaction ; induites par les objets de luxe, les
marques à forte notoriété, etc.).
(4) Via son
intelligence logicielle associée.
(5) Formés de
l'association des objets physiques et de leur intelligence logicielle associée.
(6) Ce dernier
point n'est pas nécessaire dans tous les cas.
(7) Un agent
économique modifie son milieu (marché, processus, chaine de valeur…).
(9) Argument
renforcé dans le cas où l'objet dispose de capacités électroniques embarquées
qui inter opèrent avec son intelligence associée.
(11) I.e. "de
posséder".
(12) Par exemple,
rares sont les solutions existantes de covoiturage qui sont interopérables
entre elles.
(14) Gestion de
partage des immobilisations.
(15) La valeur
ajoutée de ces sociétés étant ainsi partiellement ou totalement déportée sur
les intelligences logicielles réparties, associées aux objets (niveaux
subsidiaires dans les organisations). Ces marques sont déposées par leurs
propriétaires respectifs.
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